Libération, no. 7601
QUOTIDIEN PREMIERE EDITION
TELEVISION,
lundi, 17 octobre 2005, p. 30

Docu. Le portrait façon puzzle d'une mère par sa fille.
Eva, l'énigme d'une vie

PEIGNE-GIULY Annick

«Je t'ai appelée Esther. Esther, c'est le nom d'une femme qui affronte, nue, le danger de mort pour le bien de son peuple.» La mère de la cinéaste pense ici lui révéler le «cadeau» qu'elle a déposé dans son berceau. Mais c'est d'elle-même qu'elle parle. C'est elle, Eva, qui est la femme mise à nue, qui frôle la mort pour le bien d'un peuple. Eva Hoffenberg, née Lamprecht, qui plonge dans le délire par culpabilité. Celle d'avoir été une jeune fille allemande dans une Pologne vérolée de camps d'extermination. Celle d'avoir épousé un juif contre l'avis de son père. Esther Hoffenberg démêle l'histoire de sa mère Eva. Exhume la part occultée de sa vie. Patiemment, elle dénoue les fils de l'imbroglio familial. Au risque d'affronter non le danger de mort mais peut-être celui de la vérité.

«La vérité ? Pauvre idiote !» Eva s'adresse ainsi à l'infirmière qui l'accueille à l'hôpital psychiatrique lors d'une de ses crises. Depuis 1970, ses quatre enfants élevés, Eva a des bouffées délirantes. Entre les pages de l'album d'une famille heureuse, Esther Hoffenberg découvre petit à petit ces zones d'ombre qui tourmentent sa mère. Judaïté et germanité se transmettent, s'emmêlent, s'affrontent dans une famille ballottée par l'Histoire. De mères en filles surtout. Gisela, la grand-mère juive, s'est convertie au protestantisme. Eva, non juive, a épousé Sam et le judaïsme d'un même geste. Et du coup, son père, industriel allemand installé en Pologne, ne voudra plus jamais la voir...

Et Esther ? Esther a donc été appelée Esther par sa mère. On mesure alors le chemin parcouru pour exhumer cette «germanité» douloureuse de sa mère. Alors, nous saurons tout... all about Eva ? Le délicat portrait d'Eva, ainsi brossé à coups de témoignages, de photos, de films de famille, laisse intacte l'énigme profonde d'une vie. Esther a su rester, dans un coin de l'écran, ce profil sidéré, penché sur le testament du grand-père qui déshérite sa femme Gisela et sa fille Eva. Le film s'accroche alors à ce mince filet de voix qui le traverse tout du long. Celle d'Eva, enregistrée avant sa mort en 2001. Et qui raconte comment son père l'avait «rêvée».

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